Les raisonnements en design – partie (1/3)
14 novembre 2025

Décrypter les raisonnements des designers, c’est ce que propose Daniel Uribe , doctorant en CIFRE au sein d’Où Sont les Dragons et à l'EHESS à travers une série d’éclairages. Une réflexion en lien avec ses recherches sur l'analyse des vertus et des vices intellectuels dans la pratique du design et les retours d’expérience des projets et ateliers conduits par l’agence.

14 novembre 2025

Nous avons souhaité explorer la question des raisonnements suite à la sensation d’un manque d’outils, de concepts scientifiques clairs et surtout explicables sur la façon dont on raisonne, autrement dit, sur la façon dont nous parvenons à des connaissances au cours d’un projet de design. Ce constat était particulièrement prégnant dans deux situations :

Bien que nous soyons sans nul doute une profession intellectuelle, nous nous sommes trouvés assez démunis pour pouvoir expliciter ce qui était à l’oeuvre, le terme même de raisonnement ne nous est pas venu naturellement.

Dans le domaine du design, l'étude des modes de raisonnement revêt une importance cruciale. Comprendre comment des manières de raisonner telles que la déduction, l'induction et l'abduction influencent la pensée des designers permet de révéler les mécanismes sous-jacents à leurs pratiques. Ces schémas cognitifs, bien que souvent implicites – ne sont que rarement enseignés en école de Design et guident pourtant les choix des concepteurs ainsi que des acteurs impliqués dans les projet de design.

Les ateliers de co-conception constituent un terrain privilégié pour mettre en lumière ces schémas car au raisonnement suivi par les concepteurs dans le secret de leur agence s’ajoute la nécessité de “faire raisonner” suivant des schémas préétablis. Il existe ainsi 2 niveaux de raisonnement : celui suivi par les concepteurs et celui que les concepteurs demandent de suivre aux participants des ateliers. Dès lors si on ne connaît pas soi-même les règles qui régissent le raisonnement, il est plus difficile de transmettre et de faire raisonner d’autres personnes.

Cet article vise ainsi à clarifier et donner de premières définitions sur ces différentes notions à l’ensemble des designers qui ressentent le besoin d’expliciter leur travail.

Quelles disciplines s’intéressent à la question des raisonnements ? Plusieurs ! Et celles qui le font les relient souvent à la connaissance. En effet, les raisonnements sont des pratiques qui nous permettent, s’ils sont bien exécutés, d’accéder à la connaissance et de viser l’idéal de vérité. Ainsi, les modes de raisonnement sont étudiés par l’épistémologie, discipline qui traite de l’étude de la connaissance (ἐπιστήμη). La racine grecque du terme épistémologie rappelle que les modes de raisonnement ont été étudiés dès l’Antiquité. Les branches de la philosophie qui analysent ces modes de pensée sont notamment la philosophie des sciences, la logique ainsi que la philosophie de la connaissance laquelle traite de la connaissance en général. Bien que ces modes de raisonnement soient centraux dans l’élaboration des connaissances scientifiques, ces derniers s’observent aussi dans nos pratiques de pensée ordinaires et quotidiennes.

L’étude de trois principaux modes de raisonnement (déduction, induction, abduction) nous permettra de mettre en lumière les formes de raisonnement qui peuvent être mobilisées dans différentes situations en fonction des objectifs visés.

Les designers mobilisent ces trois types de raisonnement dans leurs pratiques. Il convient dès lors de déplier les pratiques de raisonnement des designers afin de mieux comprendre la manière singulière dont se déploie leur pensée. Nous montrerons que le “mode de pensée propre au design” (”designerly ways of knowing”) (Cross, 1982), repose sur des stratégies qui mixent ces différents modes de raisonnement en fonction des contraintes du terrain auxquelles sont confrontés les designers.

Dans le prochain article, nous présenterons trois types de raisonnements et leurs principes de validité, nous étudierons les ateliers de co-conception à la lumière de ces acquis théoriques dans un troisième article et le dernier article de cette série nous permettra de proposer des premiers outils méthodologiques et idées de mise en application.

  • Après avoir mené certains ateliers de co-conception : bien que réussis sur le plan fonctionnel et remplissant les objectifs fixés initialement, nous avions le sentiment qu'ils auraient pu être mieux menés en particulier pour explorer certaines questions qui demandent aux participants d’expliciter comment ils trouvent une information, comment celle-ci amène une séquence de travail, comment eux-même raisonnent;
  • Lors de certaines présentations ou rendus, lorsque certains choix de conception étaient à expliciter et qu'il manquait alors un discours pour légitimer…le raisonnement suivi.