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À travers les cinq dernières décennies, les associations ont connu un processus de professionnalisation, à la fois au niveau individuel (des membres) mais aussi au niveau collectif (des opérations). Ce processus est souvent marqué par la transition d’une adhésion strictement bénévole à l’intégration des membres salariés, en parallèle à la mise en place de formations professionnelles pour les travailleurs sociaux.

De cette manière, de nombreuses associations ont progressivement adopté des fonctionnements d’entreprise, notamment depuis les années 1980. Dans la recherche scientifique, on appelle parfois ce type d’organisation hybride, l’entreprise associative : elles se trouvent à l’intersection de deux catégories dont elles n’ont pas de caractéristiques typiques. De plus, juridiquement, les entreprises associatives sont fondées sur un double-contrat, celui de la loi de 1901 et celui du code de travail.

Ce statut peut être difficile à mesurer car il n’existe aucun critère spécifique pour discerner quand une association possède des qualités d’entreprise. Notons que la catégorie “entreprise associative” englobe un continuum de structures avec des facteurs organisationnels, des valeurs ainsi que des styles de gestion différents.

Ce processus de professionnalisation a amené les chercheurs à interroger les questions d’organisation, de gouvernance et de culture du travail dans le milieu associatif. Notamment, “dans quelle mesure le rapport d’engagement des militants vis-à-vis de leur association ne se négocie pas uniquement dans l’espace des valeurs, mais dans leur rapport aux activités de travail”? (Combes & Ughetto, 2010).

Les enquêtes dans le milieu associatif en France montrent que les membres d’associations considèrent leur production comme étant du travail, qu’il s’agisse de membres bénévoles ou de membres salariés. Les études sur les grandes entreprises associatives montrent qu’à part la qualité du contrat, il y a souvent très peu de différences entre la réalité des bénévoles et celle des salariés : tâches, niveau de responsabilités, compétences techniques et formations.

Le modèle associatif de la “seule bonne volonté” comme unique critère de participation est, selon les recherches, un phénomène obsolète. Aujourd’hui, il ne suffit plus d’avoir la conviction et du temps pour participer à une association, il faut avoir des compétences et connaissances et correspondre aux exigences particulières de l’organisation. De cette manière, le recrutement (même des bénévoles) au sein des entreprises associatives ressemble de plus en plus à celui du monde de l’entreprise professionnelle .

Les chercheurs notent que malgré le fait que les associations aujourd’hui adoptent un niveau d’organisation et de technicité avancé, cette réalité n’est pas toujours assumée.

 “Le problème est que cette organisation existe de fait, mais reste peu explicite et l’aide reçue par les individus est aléatoire (Combes & Ughetto, 2010). Il peut, selon ces enquêtes, être mal vu pour les membres salariés ou bénévoles d’affirmer leurs difficultés (matérielles ou sociales) de travail car ce travail est fondé sur la notion du don de soi. Le don de soi présuppose, si ce n’est une forme de sacrifice, au moins une forme d’engagement supérieur aux conditions matérielles.

Il est commun de croire que les associations n’appartiennent pas à l’univers du travail ordinaire, du fait qu’elles reposent sur la participation désintéressée des acteurs impliqués. Cependant, selon les sociologues, le milieu associatif est confronté aux mêmes problématiques que les entreprises : questions d’efficacité dans l’action, de rapports de pouvoir, problèmes de démotivation, sentiment des employés de ne pas être soutenu par les managers, etc.

A cela s’ajoute cependant, le fait que le travail caritatif ou humanitaire est typiquement considéré comme étant intuitif. Aider son prochain ne demanderait alors pas de compétences ou de formations spécifiques : “ça va de soi”. Cette croyance peut priver les travailleurs d’un soutien pourtant nécessaire à leur activité.

On note aussi la nécessité perçue par les travailleurs de s’effacer ou se sacrifier pour affirmer son appartenance à l’idéologie collective : “on est là pour les bénéficiaires et non pour nous écouter nous-mêmes”. En tant que travailleur associatif (bénévole ou salarié) on peut être réticent à affirmer son besoin de reconnaissance, de soutien ou d’écoute car on craint que son engagement soit remis en question. Les chercheurs décrivent ce phénomène comme une lutte intérieure entre “le besoin de soutien et la mise à l’épreuve de l’engagement”.

Cette dissonance entre militantisme et professionnalisation peut engendrer des débats internes aux associations entre les valeurs et objectifs poursuivis dans le cadre de leurs missions. Les spécialistes du sujet constatent un certain malaise dans le milieu associatif à emprunter des catégories de pensées et le vocabulaire du monde de l’entreprise allant jusqu’à considérer l’idée de gestion comme étant incompatible avec le militantisme, voire trahissant l’idéal initial.

Les ethnographies au sein des grandes entreprises associatives dévoilent des oppositions internes au sein de l’association (surtout au niveau des responsables) autour de la question d’appropriation des modèles et théories de management. Il peut alors se jouer un conflit idéologique entre l’altruisme de la mission caritative et l’individualisme de la réalité sociale et matérielle du travail. Ce conflit peut exister à l’échelle individuelle et aussi collective dans la culture de travail dans les associations. La conclusion avancée est que ces acteurs sont face à un problème éthique et ont du mal à admettre la réalité du management de leurs activités quotidiennes.

Cela peut être encore plus difficile pour ceux qui sont plus haut dans la hiérarchie. Les études observent un dilemme des directeurs dans les associations : on ne peut pas complètement assumer le pouvoir tout en étant dans l’idéologie de l’altruisme. Les dirigeants eux-mêmes révèlent, dans les études, des postures différentes telles que “l’ethos de petit patron”, ou la tendance à s’identifier plutôt comme travailleurs sociaux et pas comme des managers. Hors, comme le souligne Serge Paugam, (1994), “les normes du secteur marchand s’imposent désormais plus ou moins à toutes les associations. Il est, pour elles, parfois difficile de conserver les valeurs originelles : la fraternité et le bénévolat. Les associations de ce secteur, de plus en plus nombreuses, sont en réalité presque toutes prises dans une logique de la performance de l’efficacité”.

Ces recherches montrent que l’organisation du travail, quel qu’il soit —  et peut-être encore plus s’il est motivé par des valeurs militantes — repose sur des dynamiques complexes qui recouvrent des réalités plurielles qu’un modèle ne saurait représenter entièrement. De plus, ces dynamiques évoluent dans le temps ou selon le contexte (de crises, d’urgence) et sont propres aux cultures de chaque organisation.

Dans nos missions auprès des associations et coopératifs, l’objectif est d’accompagner les parties prenantes à assumer ces identités multiples et à réfléchir à la manière d’harmoniser ces différents aspects statutaires afin de favoriser une meilleure gouvernance et productivité. Il est essentiel pour nous de débusquer et analyser les processus de travail, les modes de gouvernances et les cultures des organisations. Dans le cadre des entreprises associatives, il peut ainsi s’agir de chercher l’équilibre entre les objectifs économiques et managériaux, d’une part, et les besoins sociaux ainsi que les valeurs culturelles des organisations, d’autre part. Autrement dit d’accepter le caractère hybride de ces modèles et la complexité qui l’accompagne.